par Jean-Paul Gavard-Perret
Les portraits « parlent » rarement. Ils font du bruit avec les formes et les couleurs mais ne disent rien qui vaille. Trop de peintres oublient en effet que seule la lumière qu’on jette sur eux les créent. Eva Gyorffy la produit non de face mais par la projection induite à travers l’écran électronique qui lui donne sa visibilité. C’est là en effet une des grandes révolutions de l’art numérique : la lumière provient non du dehors mais du dedans. Les œuvres de l’artiste hongroise aussi. Sortant visages (et parfois paysages) du poinçon de la nostalgie qui assujettit toujours l’image à la soumission de quelque chose du passé sous le prétexte de se débarrasser de la part la plus inconnue d'eux-mêmes l’artiste montre la complexité que toute apparence cache par effets d’hybridations et de dédoublements. L’image n’est plus un reflet : elle avance pour retrouver le réel, cernant de plusieurs côtés la perte en laissant le champ libre à tout ce qui pourrait advenir.
En renouant avec le figuratif et une forme particulière de "peinture réaliste" l'artiste la décale à la fois par stylisation et hybridation. Les dogmes de l'esthétique de divers temps et lieux se mêlent mais se distancient à travers des œuvres qu'on regarde plus précisément et avec des yeux écarquillés tant elles troublent (à tous les sens du terme). L’oeuvre demande une attention particulière. Sans cela, le risque est grand de passer à côté. Au sein de la figuration le travail de l’artiste pousse en effet une porte non sur l'onirisme mais vers une vision "lynchéeene" des choses. A savoir que la représentation ouvre à une re-présentation : d'ailleurs sans cette dérive l’art n'est rien qu'un décor.
Créant un pont entre le réel et ce qui lui échappe Ava Gyorffy plonge en un univers à la fois ouvert et fermé. En conséquence, si la figuration fait loi, on est loin du réalisme. C'est bien là le piège nécessaire choisi par l'artiste pour confondre et confronter ce qu'il en est de l’être dans son rapport au réel et à sa propre image. Le diable du réel est à nos trousses mais il est pris dans un univers formel à la recherche de l'algorithme de l’image qui fait sortir l’être de sa maison vers un rappel et un retour astucieux. En montrant le dehors l’artiste fait glisser dans le dedans de cette demeure intime. C'est pourquoi, et face à une montée en puissance des nostalgies de l'ordre moral toujours prompt à sortir des réserves de la mémoire nos machines à censure, Eva Gyorffy, jamais orphelin des sources artistiques antérieures, marque une étape décisive avec audace mais sans la violente gratuité de l'évidence « obscène ». Elle organise une stratégie bien plus opérationnelle. Sa démarche au delà de la provocation ou d'une expression factice, projette une lumière crue sur des lieux qui affirment des dualités.
De telles mises en scène supposent un sens aigu de la stratégie esthétique. Et en travaillant sur l’image comme construction psychologique et mentale qui vise à produire des effets sur les sujets Eva Gyorffy montre comment l’artiste peut incarner dans la "matière" numérique un pouvoir singulier de projection dans ses spatialisations et ses manières d'occuper la scène. L’image en effet ne peut se confiner à une pure intériorité. Et l'artiste illustre comment toute représentation croise le concept d'écran. Celui-ci est d’abord une surface destinée à protéger quelque chose ou quelqu’un. En ce sens il masque, voile pour empêcher une intrusion. Mais il est tout autant une surface qui permet la projection d’images au sens le plus large du terme. L'artiste prouve comment l'écran à la fois cache et rend possible une transparence au sein d'une opacité programmée.
Son travail illustre comment les techniques créent une dialectique subtile. Telle ou telle forme d’écran ne se révèle jamais neutre : perception et conscience humaines s’en trouvent radicalement changées. En ce sens, reprenant des règles anciennes, l'artiste impose une iconographie paradoxale de la modernité. Ne cherchant pas à faire du neuf pour du neuf, ne se contentant jamais d'exploiter une imagerie sur laquelle il pourrait s'appuyer, Eva Gyorffy développe un univers aussi mental que physique bien à elle. Nous sommes confrontés à une oeuvre excitante propre à développer notre curiosité sur tout ce qui nous encastre généralement dans le monde du quotidien. Evitant toute symbolique (cette commodité de la peinture) et au moyen de couleurs puissantes et d’arêtes décalées émerge un vagabondage. L’oeuvre joue sur une nécessaire ambiguïté et un décalage. Elle fait du spectateur un être à la fois libre et aimanté.
Franchissant les frontières l’artiste hongroise ignore les adjectifs qui veulent qualifier son entreprise : peu importe qu’elle soit réaliste ou fantastique. Elle garde en elle le pouvoir d’aller vers ce qu’on ne voit pas encore et de s’éloigner des images reflets en multipliant dédoublements, hybridations, rapprochements inopinés offrir des contre-feux aux habitudes de voir, d’appréhender l’être, le monde et le rapport qu’ils entretiennent entre eux. La créatrice atteint des lignes plus complexes mais dépouillées de toute émotivité factice. Démultiplier les images permet de voir et non pas de croire voir par ce qu’elles inquiètent en sondant l’obscure clarté où le regard ne peut plus simplement de « poser ». Eva Gyorffy sait que l’art ne possède pas le monde mais qu’il peut en dessiner d’autres contours. Il sépare, disloque, prend garde aux idées, aux sentiments, aux images quels qu’en soit les apparentes singularités.
Jean-Paul Gavard-Perret
Jean-Paul.Gavard-Perret@univ-savoie.fr
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Jean-Paul Gavard-Perret
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THE “GAMES” OF EVA GYORFFY - MATERIALS AND SURFACES
by Jean Paul Gavard Perret
Portraits "speak" rarely. They make noise with their shapes and colors but do not say anything worthwhile. Too many artists forget indeed that only the light thrown on them, creates them. Eva Gyorffy produce it not from outside but by the induced projection through the electronic screen which gives it its visibility. This is indeed one of the great revolutions of digital art: the light comes not from without but from within. As the works of Hungarian artist . Outgoing faces (and sometimes landscapes) of the punch of nostalgia that subjects always the image to the submission of something of the past under the pretext of getting rid of the most unknown part of themselves, the artist shows the complexity behind each appearance, hide by effects of hybridization and duplication. The image is no longer a reflection: it moves to re-find the real, identifying from several sides the loss, leaving the field open to anything that might happen.
By reviving the figurative and a particular form of "realistic painting" the artist shifts by both hybridization and stylization. The dogmas of the aesthetics of different times and places are mixed but distance themselves through works that look more precisely and with wide eyes as they disturb (all senses). The work requires special attention. Otherwise, the risk is great to miss. The essence of the figuration within the artist's work pushes indeed a door, not in the direction of onirisme but against a "lynchéeene" vision of the things. A representation that opens in a re-presentation: without this drift art is nothing but a decoration.
Creating a bridge between reality and what escapes to her, Eva Gyorffy plunges into a world that is both open and closed. Accordingly, if the representation is law, we are far from realistic. Therein lies the required trap chosen by the artist to confound and confront what it is to be in its relation to reality and his own image. The devil of reality is after us but got caught up in a formal universe in search of the algorithm of the image which takes the being out of his house to a recall and a nifty return. Showing the outside the artist slid into the inside of this intimate place. Therefore, faced with a rise of the power of nostalgia for the moral order, always quick to get out of our memory reserves the censorship machines, Eva Gyorffy, never orphan on prior art sources, marks a decisive stage boldly, but without the violent gratuity of an "obscene" evidence . She organizes a more operational strategy. Her approach beyond the provocation or artificial expression, casts a harsh light on places that affirm dualities.
Such a set assume a fine sense of aesthetic strategy. And working on the image as mental and psychological construction that aims to produce effects on subjects, Gyorffy Eva shows how the artist can embody on the "raw" digital projection a unique projection power in her spatializations and her manners to occupy the scene. The image effect can not be confined to a pure interiority. And the artist shows how any representation crosses the concept of screen. This is primarily a surface intended to protect something or someone. In this sense it masks, veil to prevent intrusion. But it is equally a surface that allows the projection of images in the broadest sense of the term. The artist shows how the screen at once conceals and enables transparency in the heart of a programmed opacity.
Her work illustrates how the techniques create a subtle dialectic. A screen of one form or another never reveals itself neutral: human perception and consciousness are thereby radically changed. In this sense, taking the old rules, the artist imposes a paradoxical iconography of modernity. Not trying to make something new for the brand new, never being content to exploit imagery on which he could rely, Eva Gyorffy develops a universe as mental and physical of her own. We face an exciting work able to develop our curiosity about everything that we generally fits into the everyday world. Avoiding any symbolic (the convenience of painting) and using strong colors and staggered intermissions, emerges a vagrancy. The works plays on a necessary ambiguity and a shift. She makes the viewer to be both free and magnetized.
Crossing borders the Hungarian artist, ignore the adjectives which describes her entreprise: no matter if realistic or fantastic. She keeps the power to go to what is not seen yet and to distance herself of reflection- images by multiplying overlap, hybridization, unexpected approaches offering opponent shots to patterns of seeing, to understand the be , the world and their relationship to each other. The creator reaches more complex lines but devoid of any emotion dummy. De-multiplying images enable to see and not to believe to see as they disquiet by probing the dim light which the eye can no longer simply "ask". Gyorffy Eva knows that art does not posesse the world but it can draw it other contours. It separates, dislocates, cares of ideas, feelings, images whatever the apparent singularities may be.
2012
Doctor of literature, J.P. Gavard-Perret taught communication at the Université de Savoie (Chambery).
Member of the Centre of research imagination and creation, it is a specialist of the Image in the 20th century and the work of Samuel Beckett.
J.P Paul Gavard-Perret continues a literary reflection already spotted some 20 works and collaborates in several journals.
Some works of J.P. Gavard-Perret:
Cyclops - Editions of the Atlantic - 2011
Fits and other ceintes stories
Workshop Vincent Rougier, 2010
"The bride was in red"-
The song of the Swan, 2009
The young woman down the stairs
The 2008 swan song
Beckett and poetry: the disappearance of the images - the manuscript, 2001
Three faces of the name - L´harmattan, Paris
Songs of decline and l´Abandon - Pierron, 2003
A l´Epreuve of time - Dumerchez 2003
Give l´espace - the Sétérée 2005
Pork Epique - the small vehicle, 2006
The indecent - Editions of the Swan, 2007
The image is a dog - the donkey who flies, 2007
"My ex married a Smurf-" under the pseudonym of Garr Gammel - Editions of Lys, 2008 Chloé